Les Règles sur le contenu canadien d’une production – hier et aujourd’hui
écrit par Alan Willaert, Vice-président de la Fédération américaine des musiciens des États-Unis et du Canada (FAM) pour le Canada
Je vais commencer par vous expliquer la raison pour laquelle j’ai choisi de parler de ce sujet en particulier. Le 16 juillet dernier, les négociations avec la Canadian Media Producers Association (CMPA) se sont soudainement arrêtées lorsque je me suis levé et j’ai quitté la salle (tout en proférant des injures et des métaphores colorées). Avant de vous expliquer pourquoi j’ai fait ça, permettez-moi de vous remémorer quelques faits au sujet de la FAM canadienne.
Depuis des années, deux contrats se sont imposé comme la norme pour les films et les émissions télévisuelles : l’entente concernant le cinéma commercial et l’entente concernant les téléfilms. Ils sont tous les deux excellents et ont l’avantage de canaliser les paiements dans le Film Musicians’ Secondary Markets Fund (FMSMF) (Fonds des marchés secondaires des musiciens de films). Au fil des ans, afin de monétiser les changements opérés au sein de la distribution, les cachets de session de base des deux ententes ont été délibérément réduits. Néanmoins, à mesure que les produits se retrouvent sur les nouveaux marchés (comme les projections en vol, la télévision par abonnement, les ventes et la location de vidéocassettes/DVD, la télévision gratuite et les ventes à l’étranger), ces ententes devraient générer des versements obligatoires dans le Fonds au nom des musiciens qui ont participé à la création de la musique. Au final, ces droits de suite créent un rendement considérablement supérieur à ce qui pouvait être négocié pour une session.
Cependant, bien que ces ententes aient été utilisées au Canada, le résultat est bien différent. Tout d’abord, les États-Unis représentent le plus grand producteur mondial de contenus audiovisuels. Notre population étant dix fois moins nombreuse que celle des États-Unis, l’incidence du Canada est proportionnellement plus limitée et restreinte. Alors qu’on entend souvent parler de budgets de production de films américains atteignant les centaines de millions de dollars, la grande majorité des films canadiens n’atteignent même pas les 5 millions. La plupart sont ce qu’on appelait des « films de la semaine. » Il y a aussi des documentaires, des séries télévisées et des longs métrages qui sont des « contenus entièrement canadiens. » Pour aider les producteurs canadiens à trouver des fonds, il existe des crédits d’impôts fédéraux et provinciaux pour les contenus admissibles, ainsi que la possibilité de s’associer à des entités étrangères et de produire des coproductions prévues par un accord. Une partie de ces fonds est attribuée au moyen d’un certificat délivré par le Bureau des certifications des produits audiovisuels canadiens (BCPAC), qui sont obtenues en décrochant une note suffisamment élevée dans un système de points.
Je simplifie la situation par économie d’espace, mais un autre facteur est l’absence de « grands » studios hollywoodiens. Il y en a très peu basés au Canada, avec quelques exceptions, ce qui signifie qu’ils ne détiennent pas les droits/ne distribuent pas les productions une fois terminées, mais ils les produisent au nom d’autres entités, généralement un diffuseur canadien. Afin de tout garder en ordre (pour les crédits d’impôts et d’autres financements indispensables), une société à dénomination numérique distincte est créée pour produire chaque film ou saison d’une série. Une fois la production achevée, la société est dissoute.
Ce système (et ce marché) totalement différent a donné lieu à certains problèmes pour les membres de la FAM travaillant dans le cadre des ententes concernant le cinéma commercial et les téléfilms, notamment le fait que chaque société à dénomination numérique doive devenir signataire des ententes. Puisqu’elle met la clé sous la porte à la fin de la production, les preneurs ne se bousculent pas. S’ils venaient à signer, une fois la production achevée, il n’y aurait plus personne pour verser les droits de suite au FMSMF. De plus, en raison du type de productions, les produits canadiens ont peu de chance d’être diffusés ailleurs qu’à la télévision, et par conséquent, peu d’opportunités d’obtenir des droits de suite provenant des nouveaux marchés. Les musiciens de session canadiens enregistrent alors pour les mêmes cachets de session que leurs homologues de Los Angeles, mais reçoivent des droits de suite de 10 $ contre des milliers, voire rien du tout.
Pour rectifier cette inégalité et prendre en compte la grande différence en matière de production, vers 1995, les compositeurs canadiens (aujourd’hui connus comme la Guilde des compositeurs canadiens de musique à l’image [GCCMI]) ont contacté l’ancien vice-président de la FAM Canada, Ray Petch, puis son successeur, David Jandrisch afin de trouver une solution. Ainsi sont nées les Règles sur le contenu canadien d’une production (Canadian Content Production Rules [CCPR]). Même si je ne sais pas combien de personnes y ont participé, je sais que David Jandrisch et Glenn Morley, membre et compositeur de Local 149 (à Toronto en Ontario), ont joué un rôle crucial dans la structure et le langage utilisé, aux côtés de l’ancien adjoint administratif, Len Lytwyn. Je suis sûr que Glenn ou Dave pourra corriger toute erreur de ma part.
Les CCPR étaient/sont un court document, sous forme d’avenant aux ententes concernant le cinéma commercial et les téléfilms pour la production de contenus certifiés BCPAC ou de contenu canadien au Canada. Le principe est simple : les musiciens renoncent aux versements obligatoires dans le FMSMF en l’échange de cachets de session plus élevés. En réalité, il s’agit d’un paiement anticipé qui remplace les droits de suite. De ce fait, la production peut être distribuée dans le monde entier, sur tous les marchés indéfiniment. Bien qu’il soit injustement considéré comme un « achat », il ne s’agit en fait que d’un paiement anticipé de la production. Les cachets n’incluent pas d’autres utilisations de la musique ni aucun reformatage. Qu’on soit bien clair, les CCPR ne sont pas destinées à être utilisées par les sociétés américaines qui ont déjà signé les autres ententes. Elles doivent déposer une demande d’admissibilité et remplir certains critères.
Pendant des années, les CCPR ont prospéré et les producteurs se réjouissaient de les signer. Toutefois, au cours des 24 dernières années, le secteur a connu une transformation radicale, qui a également touché les productions au Canada. Le nombre de dépôts de demande de CCPR (et les formulaires de rapport B7) a considérablement baissé ces dernières années, et il y a plusieurs raisons à cela. Avec l’apparition de différents modèles de diffusion (c.-à-d. les services de diffusion continue), les budgets des productions ont chuté, y compris les budgets de postproduction (et de trame sonore). Les producteurs offrent moins d’argent aux compositeurs pour la création d’un produit fini. Parfois, les compositeurs choisissent de faire appel à des musiciens basés à l’étranger (p. ex. Prague, Bratislava) pour faire des économies. Bien sûr, rien de tout ça ne tombe sous l’autorité de la FAM. Et dans la plupart des cas, le compositeur n’est pas en mesure d’engager des musiciens et produit la musique « dans la boîte. »
Assurément, les producteurs et les distributeurs font encore des profits, car la quantité de contenu produite aujourd’hui est plus grande que jamais, mais cela ne semble pas se répercuter sur la musique. Alors où se trouve l’argent aujourd’hui? En deux mots : diffusion continue.
Pour ceux d’entre nous qui œuvrent dans le bureau canadien, il est devenu clair que les CCPR, dans leur forme actuelle, ont fait leur temps. Si les producteurs ne proposent pas un budget musique suffisant, alors les musiciens doivent faire preuve d’ingéniosité et trouver d’autres moyens de faire vivre leur profession. L’entente doit être remaniée pour permettre de tirer profit de ce qui est aujourd’hui un marché mondial de plus de 40 milliards de dollars : les services de diffusion continue en ligne. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons entamé des négociations avec la CMPA afin d’établir une nouvelle entente progressiste qui détermine où se trouve l’argent, et octroie une part équitable aux musiciens.
Lors de notre première rencontre avec la CMPA, nous avons présenté une version retravaillée de l’Entente générale de production utilisée par des diffuseurs tels que la SRC. Après un retour de leur part, il est devenu évident que les diffuseurs et les producteurs (s’ils ne sont pas la même entité) viennent de deux mondes différents. Les quatre cycles de négociations suivants ont été extrêmement chargés : l’équipe de la FAM travaillait au remaniement complet d’une entente de production indépendante destinée à être utilisée au Canada. Au mois de mars, nous en avons envoyé une version complète à la CMPA, et même si cette nouvelle version n’avait plus rien à voir avec nos premières propositions, l’équipe était convaincue d’avoir élaboré une entente juste et exhaustive qui prenaient en compte les spécificités propres à la production canadienne et présentaient de nombreuses solutions pour la rémunération équitable des musiciens membres de la FAM.
Nous arrivons au 16 juillet. La CMPA avait préparé une réponse à tous les articles de notre proposition. En les lisant, mon cœur s’est serré. Ils n’avaient accepté aucun des principaux éléments, en fait, ce qu’ils ont renvoyé était pire que les CCPR originales.
Au sujet des droits de suite pour la diffusion continue, sachant que la plupart de leurs producteurs membres auraient du mal à effectuer les paiements une fois la production terminée, nous avons proposé deux solutions. La première correspondait à un pourcentage standard du revenu du distributeur : les musiciens gagnent de l’argent si le producteur en gagne. L’autre consistait en un achat à terme : un paiement anticipé pour le nombre d’années requises, qui peut être réalisé à tout moment. Cela permettrait au producteur de facilement prévoir son budget à l’avance, selon son contrat de licence. Ne voulant pas partager les revenus de diffusion continue, la CMPA a supprimé les deux propositions, malgré le fait que les autres syndicats l’appliquent déjà.
Même s’il y avait bien d’autres aspects qui démontraient clairement que la CMPA n’a aucun respect pour les musiciens, ils ont également exclu les compositeurs de l’entente. Même si nous avions déjà présenté une lettre de la GCCMI exigeant leur inclusion, la CMPA a décidé qu’ils n’avaient rien à faire dans une entente concernant la trame sonore des films (oui, vous avez bien lu). Par ailleurs, ils ont insisté pour que les dispositions au sujet des musiciens qui apparaissent à l’écran (« session sur les lieux ») soient supprimées. Toutes ces clauses étaient incluses aux CCPR. À ce moment précis, le 16 juillet, j’ai eu le sentiment accablant de faire face à une bande de casseurs de syndicats avides et anti-musicien, ce qui a provoqué en moi une envie furieuse de partir.
Reprendrons-nous les négociations? Même si je l’espère, car ce serait dans l’intérêt de toutes les personnes concernées, la CMPA va devoir changer de comportement. Qu’en est-il des CCPR? Nous avons indiqué à la CMPA que les CCPR expirent le 31 décembre. Elles seront remplacées par un document qui prend en compte la réalité actuelle des choses dans la production de films et de contenu télévisé, un document qui offre aux musiciens des cotisations de retraite, un salaire équitable et l’accès aux milliards de dollars provenant de la diffusion continue qui sont présentement amassés par les grandes entreprises et les sociétés numériques. Les producteurs qui souhaitent engager des musiciens membres de la FAM peuvent le faire en utilisant cette nouvelle entente, ou une des autres ententes de la FAM qui ont déjà été négociées et ratifiées, comme les ententes concernant le cinéma commercial et les téléfilms ou l’Entente générale de production (SRC). Quel qu’en soit le résultat, nous sommes bien loin d’accepter les miettes que la CMPA nous a offertes. Bien évidemment, cette histoire n’est pas finie.