Le marché mondial du contenu numérique
par Alan Willaert, vice-président du Canada, FAM
Étant un petit nouveau, prendre ma place dans la salle de conférence principale du siège de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), à Genève, pour écouter des présentations sur le marché numérique planétaire m’a rappelé l’université. À la différence qu’à l’OMPI, nous étions plus de 1000 inscrits en provenance de 144 pays. Voyons maintenant de ce que j’y ai appris.
L’industrie de la création représente plus de 30 millions d’emplois à l’échelle de la planète. Et l’ensemble de l’industrie de l’enregistrement génère des revenus de plus de 15 milliards de dollars américains. La part de ces revenus qui provient du numérique a atteint 6,8 milliards, égalant maintenant celle tirée des supports physiques d’après une moyenne de tous les marchés. Mais l’industrie de la musique est dans un état de fluctuation, ses acteurs cherchant encore à s’adapter à l’ère du numérique en ligne. La distribution numérique réduit les coûts de création, de distribution et d’entreposage de la musique, mais la rémunération qui s’y rapporte pour les artistes ne pas compense pas la baisse de ventes des formats physiques.
La raison, selon Jaron Lanier, un informaticien de renom, compositeur, artiste et auteur, c’est que les musiciens ont été en quelque sorte « le canari dans la mine de charbon » lorsque le développement d’Internet a explosé. Les fichiers de musique ont été les premiers qu’on a pu trouver facilement en ligne, téléchargement et partage gratuits en prime. Lanier admet qu’au début, il appuyait la musique et les logiciels gratuits comme symboles d’une société utopique. Mais il s’est ravisé lorsqu’il a assisté, impuissant, à la perte de revenus de ses amis musiciens qui ont dû quitter le métier, incapables de tirer suffisamment de profits (de la vente de CD) pour gagner un modeste revenu. C’est un effet direct d’Internet.
La musique n’est pas le seul domaine où Internet sape les fondements de l’économie de marché. La traduction en est un autre exemple. En effet, des traducteurs se sont regroupés, ils ont développé des algorithmes et emmagasiné suffisamment d’exemples pour créer la traduction en ligne dans presque toutes les langues; ce qui a eu pour conséquence de mettre ces mêmes traducteurs au chômage. Vous connaissez la chanson, n’est-ce pas? Heureusement, les machines ne pensent pas, quoiqu’on en dise. Elles doivent plutôt se référer à des banques de données. Nous ne sommes pas gouvernés par les machines, mais nous avons tout de même créé un monde où il faut être de plus en plus instruit pour pouvoir garder le pas avec elles.
Une nouvelle économie émerge. Fini l’époque où une élite de cinq pour cent de la population avait la main haute sur quatre-vingt-quinze pour cent des richesses. L’argent appartient maintenant à l’entreprise qui possède le plus gros ordinateur et qui peut exproprier, emmagasiner et vendre le plus de contenu au consommateur. Ironiquement, certains de ces consommateurs sont ceux-là mêmes qui ont fourni le contenu; maintenant ils doivent payer pour y accéder. C’est donc dire que celui qui a le plus gros ordinateur peut en quelque sorte dominer la société.
On en a eu un parfait exemple récemment avec la controverse opposant le gouvernement des États-Unis et la société Apple, cette dernière refusant de déverrouiller un iPhone. Aujourd’hui, les jeunes font plus facilement confiance à une grosse compagnie technologique qu’au gouvernement. Pourtant, ces grosses compagnies ne permettent jamais l’accès à leurs ordinateurs et aux secrets qu’ils contiennent. Qui nous dit qu’elles sont honnêtes et ne s’arrogent pas le droit d’accéder aux images et aux informations personnelles de tous leurs clients? Qui est le gardien de cet accès?
Et la richesse continue son mouvement ascendant vers le gros ordinateur. Combien de gens, particulièrement des musiciens, passent des heures et des heures à communiquer par l’entremise de Facebook et de Twitter? À la fin, tout ce qu’ils accomplissent c’est de générer plus de revenus pour les gros ordinateurs en Californie. Un autre gros ordinateur —YouTube — paie les musiciens pour leur contenu, mais tout comme Spotify et les autres fournisseurs du genre, les revenus qu’ils distribuent ne suivent plus une courbe en cloche. Seuls ceux qui sont tout à fait en haut du palmarès reçoivent des montants significatifs ou même des montants tout court.
L’industrie de la musique s’est donc transformée en une culture non durable où le contrat social entre artistes et créateurs, d’une part, et utilisateurs de l’autre est rompu. Mais il est possible de faire les choses autrement. Ce n’est pas la musique gratuite qui est en cause, mais bien l’absence de reconnaissance et de rémunération des artistes et des créateurs. Pourtant, nous avons la technologie qu’il faut –les algorithmes mentionnés plus haut, qui sont une corrélation de données − pour retracer les accès et les visionnements et distribuer l’argent de façon exacte. Tout schéma binaire est retraçable. La gestion numérique des droits, des lois sur le droit d’auteur mises à jour et étendues et l’adoption universelle d’une réglementation sont les pierres d’assises pour le futur. Les documents sur papier ne conviennent plus dans un monde où les accès et les utilisations de la musique se comptent par milliers, voire par millions. Nous devons accorder plus d’importance à la propriété intellectuelle et porter son application à une échelle encore jamais réalisée.
Certains artistes font l’essai de Blockchain, un portefeuille numérique et registre public de transactions fondées sur l’unité bitcoin. D’autres tentent des transactions transparentes faisant appel à des contrats intelligents qui distribuent automatiquement les revenus aux musiciens, aux éditeurs, aux compositeurs et aux maisons de disques. D’autres encore ont adopté la méthodologie de diffusion utilisée pour les films : d’abord les salles, ensuite le DVD, suivi de Netflix et des autres plateformes. Ils ne permettant la distribution que du support physique dans un premier temps et effectuent des tournées pour en soutenir les ventes; ils lancent les plateformes numériques lorsque la demande du support physique est épuisée.
Le piratage en ligne pose encore problème. La solution se trouve dans la révision par chaque pays des dispositions refuges de leur loi sur le droit d’auteur. Les entités non passives qui monétisent ou profitent de telles activités devraient faire l’objet de pénalités substantielles, dont des règles plus sévères pour les fournisseurs de services Internet.
Avec l’examen quinquennal de la Loi canadienne sur le droit d’auteur qui aura lieu en 2017, nous aurons une nouvelle occasion de demander des conditions équitables.